L’été à Avignon est culturel de par les expositions temporaires mais aussi grâce au festival d’Avignon. Le 5 juillet 2023, va s’ouvrir le 76 ième festival d’Avignon. Ce festival unique au monde, fait de la ville la capitale du théâtre durant 3 semaines. Comment ce festival a vu le jour ? Qu’elle a été son évolution depuis ces origines ? Comment la ville accueille le festival ? Voilà quelques questions auxquelles je vais y répondre.
Avignon et le théâtre
Bien avant le festival, Avignon était une ville de théâtre. Bien évidemment, pas dans les proportions que nous connaissons aujourd’hui.
Théâtre privé : le jeu de paume des Mignard
Dès l’époque romaine, le théâtre fait partie de la vie des habitants.
En 1657, Molière fut accueilli avec sa troupe pour plusieurs semaines par les Mignard. De cette rencontre va naître un des portraits les plus célèbres de Moliers peint par le peintre officiel du roi de France.
À cette époque, il n’existait pas de salle de spectacles à Avignon. Les représentations des pièces de Molière ou d’autres se faisaient dans les jeux de paume privés. Le jeu de paume de la famille Mignard va connaître un incident en 1732. En effet, le toit du jeu de paume s’écroule.
Premier théâtre de la ville
Les grandes familles avignonnaises vont se réunir pour former une société d’action dans le but de doter la ville d’un vrai théâtre. Ce premier théâtre se situait place Crillon. Il ne reste plus que de ce théâtre, sa façade classée réalisée par Thomas Lainée en 1732. Ce premier théâtre public rentra en fonction en 1734.
Ce théâtre a été la fierté de la ville pendant un siècle. Un de ces contributeurs, le duc d’Ormond écrira même : « Pour rendre la ville plus agréable, j’ai contribué à faire bâtir une salle de spectacles qui est assurément la plus jolie de France. Cela excite les troupes de campagne à y venir et nous avons Comédie pendant plus de six mois de l’année ».
Comme Avignon a toujours navigué entre deux cultures, la Française et l’Italienne, les pièces présentaient dans ce théâtre étaient françaises et italiennes.
Il fermera définitivement ces portes en 1824 quand le grand théâtre sera achevé.
Le grand théâtre
La Comédie sera un théâtre vite trop petit. La ville veut se doter d’une salle de spectacle qui peut accueillir un orchestre. Cela permettrait de proposer de l’opéra en plus du théâtre. C’est pour cela, que le conseil municipal en 1824, demanda à Ange-Alexandre Bondon et Alexandre Frary, les deux architectes de la ville de déblayer les ruines de l’ancien monastère bénédictin de Saint Laurent pour y édifier un théâtre. La construction est assez rapide. L’inauguration du nouveau théâtre se fait le 30 octobre 1825.
Un incendie criminel ravagera le théâtre. Il sera reconstruit à l’identique en 1847. C’est à cette époque que les statues de Corneille et Molière vont être ajoutées sur le devant de l’édifice.
La dernière rénovation de l’opéra est très récente. En effet, la dernière campagne de rénovation date de 2017. Depuis 2021, vous pouvez assister à de nombreux spectacles de qualité dans un environnement agréable et moderne.
1947 : naissance d’un événement culturel…
Malgré cette histoire culturelle de la ville, ce n’est pas cela qui va être à l’origine de la création du festival d’Avignon. Ce festival doit sa création à une femme et sa renommé à un homme.
Yvonne Zervos : la créatrice oubliée du festival d’Avignon
Quand on parle du festival d’Avignon, on ne parle que de Jean Vilar. C’est vite oublié que Jean Vilar n’a pas eu l’idée de créer le festival. C’est Yvonne Zervos qui va être à l’origine de ce formidable événement culturel en 1947.
Une amoureuse de l’art
Yvonne Zervos née en 1905 va travailler toute sa vie dans le domaine de l’art. Bien avant la seconde guerre mondiale, elle se révolte contre la place trop prépondérante de Paris dans le progrès de l’art contemporain. C’est pour cela qu’elle veut créer un autre centre culturel en France. Pour cela, elle va organiser une exposition du 27 juin au 30 septembre 1947. Celle-ci présentait des œuvres de Matisse, Braque, Picasso, Mondrian, Miro, etc…
Intéressée aussi par le théâtre, elle veut profiter de cette exposition pour ouvrir du théâtre aux habitants. Sous recommandation de René Char, elle fait venir Jean Vilar à Avignon. Il viendra pour une semaine du 4 au 11 septembre 1947. Voilà le début d’un festival qui va transformer la ville, le théâtre et la culture en France et dans le monde.
Hommage et reconnaissance
Lors de l’inauguration de l’exposition de Picasso dans le Palais des Papes en 1970, Jean Vilar dit :
” Nous ne remercierons jamais assez Pablo Picasso d’avoir accepté de présenter son œuvre en cette ville et, disons-le, au cours de ce XXIVième festival qui donc commence aujourd’hui. Que de capitales dans le monde doivent, à cette heure, être quelque peu jalouses d’Avignon !
Cependant nous n’oublions pas, nous n’oublierons jamais que cette faveur est due à la suggestion d’une femme qui nous a quittés trop tôt, à Yvonne Zervos à qui nous devons aussi la conception et la mise au point de cette présentation. Nous regrettons et nous sentons douloureusement cette absence. Yvonne Zervos disparue, remercions donc aujourd’hui, 1er mai, notre grand ami Christian Zervos comme nous n’avons jamais cessé de le faire publiquement depuis la “petite idée” du premier festival en mai 1947. Tous ceux qui, au cours des ans, ont fait ou maintenu à tout prix le festival, réunissent Yvonne et Christian Zervos dans leur affection.”
Aujourd’hui, la contribution de Yvonne Zervos à la création du festival d’Avignon est oubliée. La ville qui lui doit beaucoup ne lui rend même pas hommage en nommant une rue Yvonne Zervos.
Jean Vilar : le génie qui développa le festival d’Avignon
Comme expliquer plus haut, c’est sur invitation d’Yvonne Zervos que Jean Vilar est venu à Avignon en 1947. Mais l’histoire d’amour qui ne se dément toujours pas entre le metteur en scène et acteur et la ville n’a pas été un long fleuve tranquille.
Des débuts difficiles
Quand Jean Vilar vient pour la première fois à Avignon, en voyant la cour d’honneur du Palais, refusa la proposition de faire du théâtre dans ce lieu. Il doutait de la faisabilité du projet. N’oublions pas que nous étions au lendemain de la deuxième guerre mondiale. De plus, le maire de la ville Georges Pons ne soutenait pas vraiment l’idée. La mairie va finalement donner son accord et aménagera la cour d’honneur. Jean Vilar va donc venir du 4 au 11 septembre 1947, pour ce qui sera appelé ” la semaine d’art critique”. 4800 spectateurs vont assister à ce premier festival. La première polémique aussi. 2900 invitations ont été distribuées. Les polémiques feront partie de l’ADN du festival.
Grâce à ce succès d’estime, Jean Vilar va décider de revenir l’année suivante. Pendant 7 ans, il viendra chaque mois de septembre pour cette semaine d’art critique.
Une renommé grandissante
En 1948, il proposa la reprise de la tragédie du roi Richard II et deux créations, le mort de Danton et Shéhérazade. Il sera le metteur en scène de ces trois pièces. Dès les premières années, Jean Vilar constitua une troupe de comédiens qui seront fidèles au rendez-vous estival. De cette troupe va émerger les plus grands talents du théâtre et du cinéma. En effet, nous pouvons citer Jeanne Moreau, Maria Casarès, Phillippe Noiret, Georges Wilson, Michel Bouquet etc… En 1951, un grand acteur et comédien viendra apporter sa renommé et deviendra une icône grâce à ses rôles du Cid et du Prince de Hambourg.
Si la première semaine d’art critique fut au mois de septembre, dès l’année suivant, l’événement théâtral aura lieu au mois de juillet. Le succès et la renommée grandissante du festival vont permettre son allongement progressivement de 1 semaine à quasiment 1 mois. L’appellation “semaine d’art critique” restera pour deux festivals, le premier et le second. Dès 1949, cela va devenir le festival d’art dramatique. Et c’est en 1954 qu’il prendra son nom définitif de festival d’Avignon.
1968 : le festival off va voir le jour
Jean Vilar est le maître incontesté du festival d’Avignon. Mais d’autres personnalités du monde du théâtre se trouvent un peu lésées par l’hégémonie de ce dernier. Le premier à se révolter contre le festival officiel, c’est André Benedetto. En 1966, il ouvre son théâtre sur la place des Carmes et propose sa pièce “Statues”. Face à cette rébellion, Jean Vilar va riposter en investissant le cloître des Carmes l’année suivante. Ça ne décourage pas André Benedetto qui récidive en 1967 en présentant Napalm. Cette pièce fut la première jouée en France concernant la guerre du Vitenam.
Ce qui va vraiment structurer le festival off, ce sont les événements de l’été 1968. Tout commence par l’interdiction de la représentation de la pièce de Gérard Gelas, la Paillasse aux seins nus. Un mouvement contestataire va se liguer contre Jean Vilar. Les comédiens du théâtre du chêne noir vont perturber la représentation de Maurice Béjart dans la cour d’honneur le 19 juillet. Dès l’année suivante, Avignon s’enrichit de nouveaux lieux de théâtre.
2003 : Grand bouleversement dans le festival d’Avignon
2003 va être une année charnier dans l’organisation du festival off et pour l’ensemble du festival d’Avignon. Tout commence par le conflit qui oppose les intermittents du spectacle et le gouvernement. Ce dernier veut reformer le régime spécifique de l’intermittence qui permet aux comédiens et à d’autres professions artistiques d’avoir une continuité de revenus entre deux projets.
Vu l’impossibilité d’organiser le festival in, son directeur Bernard Faivre d’Arcier décide d’annuler le festival pour la première fois depuis 1947.
Le festival Off se trouve donc seul pour la première fois depuis 1968. Le dilemme entre jouer ou soutenir les intermittents est très dur. Mais la plupart des compagnies n’avaient pas le choix. Les créneaux déjà payés et les frais engagés ont forcé les compagnies à jouer. Le festival Off va avoir lieu dans une ambiance mortifère. Ces deux festivals ( le In et le Off) qui se sont opposés depuis 1968 se rendent compte qu’ils sont liés dans un destin commun. À partir de là, de nombreuses passerelles vont se créer entre les anciens festivals ennemis.
Le festival d’Avignon maintenant ?
De quelque 40 pièces à ses débuts, le festival Off propose maintenant plus d’un millier de pièces. Le record sera battu en 2019 avec 1592 pièces en trois semaines de festival. Cette année, le record ne sera pas battu car il y aura “seulement ” 1491 pièces. Il faut ajouter à cela, la quarantaine de pièces jouées dans le festival In.
Aujourd’hui, c’est toute la ville qui vibre avec le festival d’Avignon. Chaque rue, chaque recoin du centre historique voit affluer une foule immense de spectateurs. Ce festival est devenu le plus grand festival d’art vivant au monde par le nombre de spectacles présenté mais aussi par le nombre de spectateurs. En 2022, plus de 300 000 personnes sont venues participer à cette grande fête du théâtre.
Et demain ?
Certains ambitionnent de faire du festival d’Avignon, un événement encore plus grand. De doux rêveurs s’imaginent présenter plus de 2000 spectacles en 3 semaines. Face à cette folie expansionniste, il faut aussi se poser les questions de l’impact du festival sur la ville. Le centre-ville se désertifie à cause du trop grand nombre de Airbnb et des rues entières sont endormies durant 11 mois par an. Il est possible de faire de ce festival un événement culturel profitable pour toute l’année à Avignon. Et si le festival d’Avignon était une des clefs pour faire vivre la ville toute l’année ? Une question qu’il est urgent de poser.
Source
- Portraits de femmes en Vaucluse, club Azertyuiop
- Site opéra d’Avignon
- Maison Jean Vilar